Ulcère diabétiques : efficacité de la matrice dermique acellulaire

La plante d'un pied avec une lueur rouge évoquant la douleur

Plus de 150 millions de personnes dans le monde souffrent de diabète et plus de15 % d’entre elles développent un ulcère du pied (mal perforant plantaire = MPP) de gravité variable. Les traitements proposés incluent généralement un changement rigoureux des pansements ainsi qu’une observation attentive, le débridement des tissus nécrosés, le contrôle des infections, la réduction de la pression sur la plaie et une revascularisation des extrémités inférieures. Malgré toutes les attentions, il est parfois nécessaire d’amputer le membre concerné, ce qui réduit considérablement la qualité de vie du patient.
Des études récentes ont exploré des alternatives plus efficaces. Parmi elles,
l’utilisation de matrices dermiques acellulaires (MDA). Il s’agit d’un dérivé dermique contenant du collagène, de l’élastine, des glycosaminoglycanes et de l’acide hyaluronique. La décellularisation permet de limiter les réponses immunitaires et de faciliter l’infiltration dans les cellules hôtes. Cette matrice sert de réservoir aux facteurs de croissance tels que le facteur de croissance de l’endothélium vasculaire et le facteur de croissance des fibroblastes, afin de moduler les réponses cellulaires, et sa fortification structurelle protège les plaies chroniques ouvertes en empêchant la dessication des tissus profonds. Ce traitement s’est démontré sûr et efficace. Une MDA sous forme de pâte peut être facilement appliquée dans lesplaies géométriques ou creuses sans endommager les tissus adjacents. Combinée à de la gélatine, elle devient semi-fluide.

Matériaux et méthodes

L’étude se base sur l’analyse rétrospective du dossier médical de 86 patients atteints de MPP et traités entre août 2015 et janvier 2018, une partie par MDA et l’autre partie par la méthode conventionnelle de pansements en mousse.
Les patients étaient tous diabétiques de type 1 ou 2 et présentaient des ulcères du pied chroniques de grade 2 ou 3 sur l’échelle de Wagner depuis au moins 4 semaines. Leur fonction rénale était satisfaisante (créatinine < 3 mg/dL) et leur niveau d’hémoglobine HbA1c inférieur à 9 %. Un angioscanner a été réalisé sur tous les patients afin de confirmer la perméabilité artérielle. Les résultats d’une série de cultures de la plaie n’indiquaient aucune particulière croissance bactérienne si ce n’est une flore contrôlée. Après avoir exclu 31 patients avec des MPP ischémiques et 6 avec des infections incontrôlées, les 49 patients restants ont été divisés en 2 groupes : 23 pour le traitement par MDA en pâte et 26 dans le groupe de contrôle (pansement en mousse conventionnel). Après un débridement minutieux et une vigoureuse irrigation de la plaie, une quantité variable de MDA en pâte (selon les dimensions et la profondeur de la plaie) a été appliquée aux patients du premier groupe. Une légère compression a été effectuée afin d’éviter les vides, et un pansement en mousse non adhésif a été appliqué en surface pour tenir le produit en place. Dans le groupe de contrôle, après la préparation du lit de la plaie, celle-ci a été recouverte du même type de pansement en mousse. Les pansements ont été changés tous les 3 à 4 jours. Un plâtre de marche amovible a été spécifiquement conçu et appliqué afin de redistribuer la pression sur la surface plantaire et d’éliminer la pression sur la plaie.

Les dimensions et la profondeur de la plaie ont été mesurées avant le début du traitement et à chaque changement de pansement. Une complète guérison devait comporter une croissance et une réépithélialisation complètes des tissus et l’absence d’écoulement. Une évaluation des ulcères a également été effectuée aujours 20, 40 et 60 après application de la MDA.

Résultats

Dans le premier groupe, les dimensions initiales des ulcères (de 13,81 cm 2  à 19,3 cm 2  ; profondeur de 1,03 cm à 1,23 cm) ont été réduites de façon significative au cours de l’étude (valeurs finales de 6,87 cm 2  à 10,52 cm 2  ; profondeur de 0,07 cm à 0,13 cm ; P < 0,05). Dans le groupe de contrôle, les dimensions initiales étaient moins étendues (de 7,97 cm 2  à 10 cm 2  ; profondeur de 0,93 cm à 0,63 cm), et ont également diminué de façon significative (valeurs finales de 5,9 cm 2  à 8,31 cm 2  ; profondeur de 0,57 cm à 0,67 cm ; P < 0,05). Cependant les différences du taux de cicatrisation entre le groupe traité (de 74,17 % à 30,84 % de la surface et de
87,18 % à 18,9 % en profondeur) et le groupe de contrôle (de 51,87 % à 32,81 % ; profondeur 45,98 % à 32,89 %) sont significatives (P < 0,05). À la fin de la période de suivi de 60 jours, 13 des 23 patients traités par MDA en pâte (56,52 %) présentaient une cicatrisation totale contre seulement 6 des 26 patients du groupe de contrôle (23,08 %) (P < 0,05). La moyenne des intervalles de suivi jusqu’à la cicatrisation complète allait de 33,74 à 24,51 jours pour le groupe traité et de 51,12 à 17,39 jours pour le groupe de contrôle, une différence significative (P < 0,05). Le temps moyen jusqu’à la compète cicatrisation était significativement plus coursdans le groupe traité (de 13,54 à 9,18 jours) que dans le groupe de contrôle (de 21,5 à 11,98 jours, P < 0,05). Le nombre moyen d’applications de la MDA en pâte allait de 5,74 à 3,17 dans le tout le groupe traité et de 3,68 à 1,25 pour les ulcères
complètement cicatrisés.

Les feuilles traditionnelles de MDA sont adaptées aux plaies plates mais ne sont pas pratiques dans le cas de plaies aux formes complexes. Les feuilles de MDA doivent en outre être mises à tremper avant usage pour garantir une correcte hydratation, alors que la formulation en pâte est prête à l’emploi en ambulatoire.

Les propriétés régénératives de la MDA micronisée (à savoir, l’infiltration des cellules hôtes, le soutien structurel et la signalisation cellulaire) sont également documentées. La matrice dermique acellulaire contient du collagène et de l’élastine qui octroient solidité et élasticité, des protéoglycanes qui induisent l’angiogenèse, et des laminines, ligands des tissus conjonctifs.
Dans L’analyse comparative, on a pu constater que les dimensions initiales des ulcères du groupe traité étaient en moyenne supérieures à celles du groupe de contrôle, ce qui n’a pas empêché une cicatrisation significativement plus rapide.
Les plaies étendues ont généralement moins de chance de guérir car la région centrale de l’ulcère est lente à cicatriser. Cependant, à l’arrivée, les régions lésées dans les deux groupes étaient comparables, ce qui illustre bien le rôle dynamique de la thérapie par MDA en pâte sur les plaies étendues. Même conclusion pour les profondeurs des plaies similaires au début du traitement et davantage réduites dans le groupe traité que dans le groupe de contrôle, ce qui indique une accélération de la croissance tissulaire.
De même, la proportion d’ulcères cicatrisés à 60 jours diffère d’un groupe à l’autre, ce qui confirme le mérite de la MDA et corrobore les résultats d’un autre essai clinique récent avec des feuilles de MDA. Cet essai rapporte un taux de cicatrisation de 65 % (13/20) après 6 semaines chez les patients atteint de MPP traités avec la MDA, et de seulement 5 % (1/20) chez les patients du groupe ayant reçu des soins standards. Dans la même optique, lors d’évaluations de l’efficacité de matrice acellulaire bovine fluide, des avantages remarquables ont été constatés chez le groupe traité avec la matrice (86,95 % de guérison complète après 6 semaines) par rapport au groupe de contrôle (52,17 %). À noter que les discrépances apparentes des taux de migration cellulaire entre les différentes formulations de la MDA sont attribuables aux densités des cellules inflammatoires présentes, responsables du remodelage de la matrice ainsi que de la
revascularisation.Accélérer la cicatrisation des ulcères revêt une importance majeure car la baisse de vascularité associée à des conditions de comorbidités rend le processus de cicatrisation des ulcères diabétiques imprévisible. Il est également nécessaire de prendre en considération les coûts de traitement. La MDA en pâte constitue une alternative avantageuse en termes de coûts comparé à d’autres produits pour la gestion des plaies, et elle est d’autant plus économique que le traitement s’effectue en ambulatoire. Actuellement, une application de 1 à 2 mL de MDA en pâte coûte de 100 à 150 $ et peut être administrée en consultation externe, ce qui n’est pas le cas pour la MDA en feuilles qui requiert des préparatifs rigoureux et comporte des risques de contamination bactérienne.

En conclusion, les résultats de cette étude attestent de l’efficacité de la MDA en pâte en ce qui concerne la cicatrisation séquentielle progressive. Qui plus est, la cicatrisation accélérée n’a requis que 30 jours, ce qui constitue un avantage indéniable pour l’environnement peu vascularisé des ulcères diabétiques. Ces données sont en faveur de cette stratégie de gestion des ulcères chez les patients atteints de MPP complexes.
Comme décrit précédemment, la MDA en pâte a été insérée dans les fissures et les tunnels des ulcères afin d’éviter les espaces vides et de garantir une migration cellulaire adéquate et un contact cellulaire. Outre l’étude présente, les auteurs ont utilisé la pression négative dans les plaies récalcitrantes peu vascularisées. Les résultats suggéraient alors que la thérapie par pression négative (TPN) favorise la prolifération du tissu de granulation. Des recherches sur l’utilisation conjointe de la MDA et de la TPN sont en cours.

Limitations
Les seules limitations de cette étude sont le manque de support histologique détaillant les aspects microscopiques de la réparation. Des observations précédentes indiquaient que la MDA micronisée semble soutenir de nombreux constituants cellulaires de la régénération tissulaire, dont les fibroblastes, les macrophages, les plasmocytes, les adipocytes et les mastocytes. Le composé procure un vaste réseau de fibres élastiques et de collagène qui servent d’échafaudage pour la croissance vasculaire. Une autre question est celle de la concurrence entre les différentes formulations de la MDA (pâte vs. feuilles), qui n’ont pas été l’objet d’une comparaison directe d’un point de vue objectif.
Cependant, des analyses précédentes sur différentes préparations et fabrications de MDA semblent valider cette préférence pour la MDA en pâte. Pour finir, le protocole utilisé par les auteurs a clairement besoin d’ultérieures investigations étant donné le nombre réduit de patients présents dans chaque groupe.

Sources :

https://www.hmpgloballearningnetwork.com/site/wounds

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